Pour comprendre les différentes formes que peut prendre l'homophobie Pour une sélection d'oeuvres Mail et Forum

Définitions
par Hervé B.

Préalablement à tout développement, il me semble nécessaire d'esquissser une définition de l'homophobie et de réfléchir à la notion de phobie appliquée à l'hétérosexualité. Bonne lecture :)

 

Définissons l’homophobie

La définition de l'homophobie n'est apparue que depuis une dizaine d'années dans les dictionnaires. On peut lire dans le Petit Larousse (édition 2002) qu'elle est un « rejet de l'homosexualité, [une] hostilité systématique à l'égard des homosexuels ». J'ai ensuite recherché la définition du terme dans le Petit Robert (édition 1993) où l'on peut lire le texte suivant à propos du terme "homophobe" : « qui éprouve de l'aversion pour les homosexuels » (pour ceux désirant plus d'informations sur les définitions proposées, je vous conseille d'aller voir la page Définition du site de l'association SOS homophobie). On constatera déjà que le Larousse, en plus d'être partiel, est trop restrictif. L'homophobie est bien plus qu'une hostilité et elle s'exprime souvent de façon occasionnelle. Celle du Petit Robert, beaucoup plus ouverte, est préférable même si les raisons et les formes de cette aversion ne sont pas présentées.

Il sera donc préférable de se tourner vers les dictionnaires spécialisés pour obtenir quelque chose de plus complet. Le Dictionnaire des cultures Gays et Lesbiennes, dirigé par Didier Eribon, y consacre une pleine page placée en vis à vis d'une photo consternante rappelant les plus sombres heures du KKK. L'auteur de l'entrée aborde de nouvelles notions très importantes comme « la peur de l'homosexualité et le mépris envers les gays et les lesbiennes ». On y parle de « refus irrationnel », de « haine » mais aussi aussi de ces notions constitutives de l'homophobie (fondamentales pour moi), que sont les convictions d'infériorité et d'anormalité de l'homosexualité. Le texte développe ensuite rapidement les origines, les formes et l'évolution de l'homophobie. Le Dictionnaire de l'homophobie ne propose pas d'entrée sur l'Homophobie, ce qui est logique puisque qu'il s'agit de son sujet unique. Il faut lire l'excellente introduction de Georges-Louis Tin pour avoir un certain nombre d'éléments de définition. Après avoir repris les définitions communes, l'auteur élargit la notion en évoquant un « ordre inégalitaire institué entre homos et hétérosexuels » (d'après Didier Eribon), fait référence à Daniel Welzer-Lang qui ajoute la dimension du « dénigrement des qualités considérées comme féminines chez les hommes et, dans une certaine mesure, des qualités dites masculines chez les femmes ». Enfin, on peut y lire la distinction que fait Eric Fassin (dans L'Homophobie, comment la définir, comment la combattre aux éditions ProChoix, 1999) lorsqu'il écrit « l'usage actuel hésite entre deux définitions fort différentes. La première entend la phobie dans l'homophobie : il s'agit du rejet des homosexuels, et de l'homosexualité. Nous sommes dans le registre, individuel, d'une psychologie. La seconde voit dans l'homophobie un hétérosexisme : il s'agit cette fois de l'inégalité des sexualités. La hiérarchie entre hétérosexualité et homosexualité renvoie plutôt au registre, collectif, de l'idéologie ». Nous avons là une définition à la fois ouverte et synthétique, couvrant à la fois la dimension individuelle et sociale de l'homophobie.

Comme le Dictionnaire de l'Homophobie, le Journal de Fabrice Neaud ne propose pas de définition toute faite de l'homophobie mais donne des éléments de réflexion au lecteur, illustrant (au sens propre et figuré) des cas concrets d'homophobie, permettant ainsi de mieux la définir. Sans relever ici tous les propos de l'auteur traitant de l'homophobie (son oeuvre est une des bases de ce site et les références y sont donc très nombreuses), on peut évoquer les planches du volume III consacrées à l'agression physique (pages 175 à 177, l'illustration du haut de la page en est extraite) suivies par les propos de la page 178 : « Qu'est-ce que vous faisiez à cette heure, dans ce coin de la ville ? (...) Mais, savez-vous que ce n'est pas un endroit où il fait bon se promener la nuit ?!? » (ce qui sous entend, évidemment, "qu'il l'a bien cherché, ce pédé"). Une autre illustration de la définition de l'homophobie peut être trouvée à la page 111 du volume 4, notamment avec les 3 dernières vignettes nous montrant un Oscar Wilde bâillonné puis la plaque présentant l'humanité (un homme saluant et une femme en retrait) située dans les deux sondes Voyager et se terminant par un couple hétérosexuel en train de s'embrasser sur un banc public, vignettes avec les propos suivants : « L'hétérosexualité est la chose qui, publiquement, s'affiche alors que l'homosexualité est celle qui se tait. (...) L'homosexualité, pour peu qu'on la tolère dans le silence du lit, ne doit jamais en sortir, alors que l'hétérosexualité a accès à toutes les visibilités... C'est pourquoi tout geste de tendresse hétérosexuelle publique est, fatalement, un geste de statu quo homophobe, n'en déplaise à certaine chanson de Brassens ».

 

Et si on parlait d’hétérophobie

Si on prend la définition de l'Hétérophobie dans le Dictionnaire de l'homophobie, on y lit que certains pourraient définir l'hétérophobie comme « le rejet ou la peur de l'hétérosexualité comprenant une répulsion à l'égard des fantasmes, des désirs et des conduites hétérosexuelles et pouvant se traduire par des attitudes négatives, voire discriminatoire, envers les individus d'orientation hétérosexuelle » pour ensuite rejeter l'existence de telles attitudes qui sont contraires à l'idée que les homos défendent, c'est à dire la « relativisation des préférences sexuelles » et la reconnaissance de leur diversité. On trouve bien sûr quelques « comportements ou discours homosexuels » pouvant se rattacher à cette définition mais leur rareté ne permet pas de « donner une existence réelle et suffisante à ce concept ». Cette définition existe mais elle est sans intérêt pratique donc sans grande valeur. En effet il est impossible pour un homo de retourner la violence de l'homophobie sous la forme d'une prétendue hétérophobie. Il ne s'agit pas de nier que certaines personnes développent une "haine" de l'hétéro mais leur nombre est tellement insignifiant que cela ne suffit pas de qualifier ce sentiment d'hétérophobie. Elle n'est intéressante que par un certain effet de miroir avec l'homophobie car il s'agit d'une définition hétérosexiste, ce qui la relativise de facto.

Pour l'auteur de cette entrée, on peut même aller plus loin : « si les homosexuels ne semblent pas aller jusqu'à retourner contre les hétérosexuels la violence qu'ils subissent, il semble à l'inverse que les hétérosexuels se sentent victimes de manifestations d'hétérophobie, et en font à leur tour le reproche aux homosexuels ». Il y a un tel déséquilibre entre les comportements homophobes et les comportements hétérophobes et surtout sur leurs conséquences que cela invalide l’existence de l’hétérophobie. L’auteur précise même que « l’homophobie repose en grande partie sur l’effet d’impunité, de légitimité sexuelle qui se manifeste dans le fait que le dominant (et le dominé lui même par intériorisation) ne pense même pas l’éventualité d’une réciprocité de la violence » (n’oublions pas que cette violence n’est pas que physique mais aussi symbolique comme il est montré dans la partie de ce site dédiée à l'homophobie passive) et cette violence homophobe « ne laisse aucune place aux réactions éprouvées par la victime et ne lui prête aucune possibilité de réplique ». A partir de là, il est impossible de donner une existence réelle à l’hétérophobie et elle reste à l’état de concept illustrant certains aspects de l’homophobie. De plus, je pense que c'est un fantasme hétérosexiste d'imaginer que les homos n'aiment pas les hétéros, c'est une inversion d'un schéme de pensée que nous avons là, pas une réalité.

Ce risque de compréhension erronée et hétérosexiste peut se retrouver dans la lecture de certaines oeuvres. Pour Fabrice Neaud, hétérophobie et homophobie ne peuvent pas être mises en parallèle ni opposées du fait que l'hétérophobie n'existe pas réellement et une lecture erronée du Journal (1) pourrait faire penser que l'auteur, dans un effet de miroir, dénonce une certaine hétérophobie du milieu des bars homos. Je fais référence aux pages 43 et 44. Effectivement, on y voit un couple hétéro prendre un verre dans l'UNIQUE bar homo de la ville, couple qui se fait jeter par le tenancier. Mais il ne faut pas voir ce passage comme une dénonciation de l'hétérophobie mais plutôt comme une réaction épidermique et crétine à l'invasion des lieux homos pas les hétéros "branchouilles" ou inconscients. Il est certain qu'une telle lecture de ce passage est facilité après avoir lu les volumes 3 et 4 avec les réflexions de l'auteur sur la tolérance et la gay-attitude. Loin de ma part de vouloir défendre certains comportements car l'intolérance (avec la connerie) est une des choses les mieux partagées chez l'être humain. Certes, l’usage des termes « déontologie commerciale » et « le ridicule ne fasse pas plus de mort » avec un gros plan sur le barman ne laisse aucun doute sur qui ce Neaud porte jugement, mais le ridicule est partagé par le couple hétéro qui ne comprend rien à la situation (j’adore cette répartie de la femme « Comptez pas sur nous pour vous faire de la pub »). Je vois encore moins d'hétérophobie dans la planche de la page 44 que dans la précédente. J'y vois un prémisse de la dénonciation à venir de certains aspects de la gaytitude, de l'invasion des lieux gays par les hétéros et les propos simplistes d'un tenancier de bar (à sa décharge, aucun barman ne peut avoir, dans l'exercice de sa profession, une discussion approfondie avec ses clients) : « ce n'est pas qu'on aime pas les hétéros ici, mais on aime pas la curiosité malsaine et pour un hétéro qui vient avec de bonnes intentions, il y en a dix qui suivent pour mettre le bordel (...) De toute façon, il y a trop de différence entre eux et nous, c'est inscrit dans les gènes ».

 

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