Pour comprendre les différentes formes que peut prendre l'homophobie Pour une sélection d'oeuvres Mail et Forum

Mais encore...

 

Malgré les thèmes abordés dans les pages précédentes, il y en existe bien d'autres et on est loin d'avoir épuisé tous les sujets de discussions, d'études, intéressants. En voici trois qui méritent que l'on s'y attarde, les deux premiers pour leur particularisme, le troisième pour apprendre à se retourner sur l'évolution de notre société et observer ce qui s'est passé, car replacer toute réflexion dans une perspective historique est quelque chose d'indispensable.

 

 

La biphobie, l'autre phobie de l'orientation sexuelle.

La bisexualité fait surtout l'objet de stéréotypes et de préjugés constitutifs d'une véritable biphobie. Plutôt que de proposer un texte de notre part sur le sujet (et donc de qualité moindre) ou de vous renvoyer à l'entrée illisible et inexploitable du Dictionnaire de l'homophobie (nous ne féliciterons pas son auteure pour sa rédaction ;)), vous trouverez ci-dessous un texte extrait d'un entretien avec Sandrine Pache, fondatrice de l'association InfoBi, réalisé par Céline Perrin et Pauline Grosset paru dans la revue NQF Vol. 22, No 1 / 2003 (disponible dans son intégralité sur le site Bi Critik) et publié ci-dessous avec l'aimable autorisation de Sandrine Pache.

Les trois principaux messages qui sont renvoyés sur la bisexualité sont : primo, que ça n’existe pas ; deusio, que c’est transitoire et que ça va passer (c’est un signe d’immaturité); et tertio, qu’il faut choisir. Ce sont les principaux, mais il peut y avoir aussi : les bisexuel(le)s sont des pervers, des personnes incapables de s’investir, ceux qui ont transmis le sida à la population hétéro, et puis bien sûr des infidèles, sautant sur tout ce qui bouge, des espèces d’êtres insatiables par rapport au sexe. Les gens imaginent le plus souvent les bisexuel(le)s à trois. Forcément, si on est bi, on doit coucher avec les deux sexes, sous-entendu : en même temps. Ce qui n’est pas réaliste par rapport au vécu de nombreuses personnes. Il y a effectivement des personnes multipartenaires, comme des homos ou des hétéros multipartenaires, quel que soit leur sexe. Mais dans l’imaginaire populaire, qui dit bi, dit tri, au minimum. Et cela signifie trahison, non seulement une trahison sexe/genre, mais aussi une trahison de l’idéal du couple, donc du fondement de la famille et de notre société. L’image des personnes bisexuelles est une image de traîtrise. Si on reprend les trois quarts des bouquins qui existent à ce sujet, ou bien le rôle qu’on leur donne dans les films, dans les histoires, c’est un « continent noir », « le mystère de la bisexualité »… C’est dû probablement au fait qu’on ne les a pas étudiées, parce qu’on a passé tout ce temps à dire que ça n’existait pas. Mais aussi parce qu’il y a cette notion de fluidité, où l’on n’arrive pas à fixer ces individus-là entre le noir et le blanc, entre le monde homo et le monde hétéro. Donc on ne sait pas où les caser. Ils ont une composante homosexuelle, donc ils trahissent leur sexe de naissance, si on peut dire, tels qu’ils devraient être en tant qu’hommes ou femmes. Ce sont des « invertis », on ne sait pas trop ce que c’est, mais en tout cas ils ne correspondent pas à leur identité de genre prescrite, de la même manière en cela que les homos. Et en plus, ce sont des traîtres à leur groupe d’appartenance. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas hétéros, puisque ce sont des pédés et des gouines. Et ils ne sont pas homos non plus, puisqu’ils refusent de s’identifier comme tels, et d’assumer leur homosexualité, c’est-à-dire de renier leur hétérosexualité. Chose qu’on leur demande en fait au moment où ils s’affilient d’une manière ou d’une autre à un monde homosexuel.

Il y a une violence vraiment claire et nette à l’égard des personnes bisexuelles, j’en ai fait l’expérience. Ces préjugés se fixent sur des choses différentes, en fonction de la personne qui est en face. Par exemple, en tant que femme bisexuelle, si je rencontre un homme hétéro, il va me dire : « Super, invite ta copine, on va dans mon plumard! » Il va majoritairement m’associer à une femme lesbienne qu’il peut s’approprier. Je le dis d’une manière caricaturale, mais on parle de stéréotypes. Si je rencontre une femme hétéro, elle va avoir la même défiance à mon égard que si j’étais lesbienne. Sauf si ça touche quelque chose en elle, et dans ce cas-là ça va être surtout de la curiosité. Par rapport aux lesbiennes, on peut être perçues comme un danger. D’abord parce qu’on nous imagine infidèles et incapables d’engagement. Et ensuite, parce que nous sommes en lien direct avec des hommes, donc susceptibles d’être traîtres à l’identité, traîtres à la cause, traîtres à l’amour et susceptibles d’ouvrir une brèche dans l’espace lesbien où les hommes pourraient s’infiltrer. Et il faut voir aussi que cela correspond à l’imaginaire justement des mecs hétéros par rapport au porno lesbien. Les femmes lesbiennes ont aussi cet imaginaire-là. Donc avec l’idée d’échangisme et que les nanas sont disponibles aux mâles, ça ne plaît pas tellement à la moyenne des femmes lesbiennes. C’est cette idée-là qu’elles peuvent avoir par rapport aux femmes bi. Et par rapport aux hommes gays, ça va dépendre de la position du mec par rapport aux nanas, s’il se sent bien par rapport aux femmes ou non. Mais si tu dis que tu es bi, tu es associée à toutes les mauvaises expériences qu’ils ont pu avoir avec des partenaires bi masculins. Le problème de la bisexualité, c’est que l’on est à un tel degré de désinformation, encore actuellement que, même si tu parles en tant que personne bisexuelle, les gens ne te croient pas, ils croient leurs stéréotypes. La première réaction (comme elle existait systématiquement il y a vingt ans en arrière par rapport aux homos) c’est la même : la défiance. Et tu dois tout le temps prouver que tu es bi, car c’est clair que si tu es avec une femme, tu es lesbienne. Et si on te voit avec un mec, tu es hétéro. Donc tu dois prouver ton identité et en plus prouver ta capacité à t’investir, à respecter le contrat affectif. Tu dois toujours confirmer à nouveau que tu n’es pas ce que tu es supposée être, et c’est systématique.

Revenons aux trois piliers fondamentaux que la bisexualité transgresse : l’identité de genre, la question du couple et la question de l’appartenance socioculturelle au monde homo ou hétéro. La vision que l’on a actuellement de la question homosexuelle est très récente. C’est vraiment le sida, tous les mouvements associatifs, la révolte des gens par rapport à la manière dont ils étaient traités en lien avec la maladie, qui a permis la naissance d’un mouvement homosexuel aussi massif. Avant on en parlait peut-être, mais dans les années 70 c’était une frange de révolutionnaires radicaux/ales qui ont osé faire tout ce que personne n’osait. Aujourd’hui, c’est vraiment un mouvement de masse, il y a des millions de personnes concernées, il y a des milliers de personnes qui défilent dans les rues… Mais c’est un mouvement qui est jeune, qui est fragile, c’est un mouvement qui doit se défendre sans arrêt. Et les hétéros intègrent gentiment que l’on peut être homo. Donc je pense que pour les hétéros, les bi représentent leur composante homosexuelle sur laquelle ils fantasment peut être ou qui les inquiète et qu’ils ont mis de côté. On est un sujet d’angoisse pour eux. Pour les homos aussi, on est un sujet d’angoisse parce que l’on sème le doute. Le simple fait que l’on existe et que l’on dise « je suis là », sème le doute. Le « ça n’existe pas » devient difficile à maintenir. À partir du moment où cela existe, ça veut dire que toute personne hétéro ou homo est susceptible de se poser la question : « Est-ce que je pourrais être bisexuel(le) ? » C’est vraiment très angoissant pour tout le monde. Les mouvements gays et lesbiens peuvent être des mouvements intégristes par rapport aux bisexuel(le)s. Ils excluent fréquemment les personnes bisexuelles, de manière implicite ou explicite. Si vous regardez par exemple le Mardi Gras (la Lesbian and Gay Pride en Australie) ils ont exclu objectivement les personnes bisexuelles. C’est souvent un objet de négociation de pouvoir faire officiellement partie des Pride, avec banderoles, etc. De la même manière pour les trans. Moi c’est ce que j’observe de plus flagrant, c’est pour cela que ça devient un sujet si médiatique. D’accord, ça parle de sexe donc c’est toujours médiatique mais il y a également cette relation aux mythes, cette relation au masculin - féminin, au mélange, à l’inconnu, à ce que l’on aimerait connaître, à la transgression d’un interdit – parce que l’homosexualité est toujours un interdit, quoi que l’on en dise. La bisexualité, c’est aussi un interdit, en particulier pour les homos. Quand on a choisi son camp, il ne faut pas revenir en arrière, ou il ne faut plus douter, on n’en a plus le droit. Cet aller et retour entre homosexualité et hétérosexualité n’est pas admis, que l’on soit homo ou hétéro.

Cette question de bisexualité, elle emmerde tout le monde, mais elle fascine aussi tout le monde, parce qu’elle touche à des points vraiment fondamentaux dans notre culture. Qu’a-t-on étudié en matière de sexualité ? On a étudié la jouissance, on a étudié tout ce qui est lié au pouvoir, à la contraception. On a étudié la jouissance, mais dans une vision psychanalytique, « moi et ma jouissance et la réalisation de mon moi », pas dans cet aspect qui touche tellement à la construction du rapport sexe-genre. En tout cas, je n’ai jamais rien vu là-dessus, peut-être que j’ignore l’existence de ces travaux… Mais il ne me semble pas, jusqu’à présent, que ça ait été très axé sur des questions du type : « Jusqu’à quel point le système sexegenre arrive dans mon intimité sexuelle ? » La sexualité étant le summum de l’intimité personnelle, symboliquement, mais dans les faits aussi semble-t-il. Et quand on parle aux gens de bisexualité, c’est directement cela que l’on touche. Pas directement leur sexualité, mais leur intimité, car c’est leurs rêves, leurs fantasmes, leur manière de se représenter l’intimité au sens sexuel du terme. Tu touches directement à des trucs très profonds, qui font partie en même temps de structures très importantes, que l’on ne peut pas remettre en doute sans que les gens se sentent complètement affolés. Parce qu’ils ont bétonné cela sans y réfléchir et qu’en même temps, si tu dévies de ton identité sexuelle, de ton genre, la punition sociale est directe et radicale. Elle est très violente. C’est un problème parce que ça t’est imposé depuis que tu es sorti(e) du ventre de ta mère. Dans un combat militant politique, des études sur la bisexualité serviraient à ce qu’on se ramasse un peu moins de préjugés et de stéréotypes dans la gueule. Mais en fait, fondamentalement, si je me mets à la place de quelqu’un d’intellectuel, qui a envie que des recherches soient faites sur ce sujet, ce qui me fascine, c’est ce que je viens de vous dire. Je sens qu’il y a un potentiel de réflexion qui a été inexploré et qui est en fait extrêmement subversif : le rapport entre le système dominant tel qu’il est institué et jusqu’où ça va dans la sphère vraiment intime. On est arrivé jusqu’à la machine à laver, allons à l’étape suivante, passons sous la couette…

Sandrine Pache

 

 

Sexisme et homophobie : la lesbophobie,
le double combat des lesbiennes.

(à venir)

 

 

L'homosexualité dans l'Histoire :
l'homophobie, une invention moderne ?

Les pratiques sexuelles dans la Grèce antique et Rome. (à venir)

Le puritarisme du XIXème siècle. (à venir)

Est-ce bien naturel, tout ça ?

Etudions un peu la notion de nature, de contre nature : la "naturalité" de l'hétérosexualité qui fait que l'homosexualité serait contre nature. Cette notion, même si elle n'est pas exclusivement chrétienne, est un des principaux arguments contre l'homosexualité. Les Grecs puis les Romains (mais bien d'autres cultures en faisait de même) n'étaient pas à proprement parler homosexuels ou hétérosexuels mais pratiquait une sexualité qui répartissait les rôles en fonction du statut social. Mais attention à ne pas généraliser à outrance ces pratiques. Par exemple, tous les Grecs ne partiquaient pas l'homosexualité, en effet, de nombreuses cités la considérait comme répréhensible. En fait, avaient le droit d'être actif (et donc de pénétrer l'autre) les citoyens mâles et libres et devaient se conformer à un rôle passif (donc se faire pénétrer) tous les autres, c'est à dire les femmes, les adolescents et les esclaves. Dans ce contexte, il n'y avait pas de place pour agir contre nature mais contre la société. La notion de nature apparaît durant le Moyen-Age avec une forme populaire de stoïcisme qui prônait une morale de vivre selon la nature où le mot "nature" avait le sens d'ordre divinement déterminé. Suivre la nature n'était donc pas se conformer à une sorte d’instinct (c'est plutôt le sens actuel) mais à la raison définie dans sa fonction biologique. Il s'agissait de s'en tenir à la loi de la procréation, il fallait lutter contre les plaisirs, les désirs, les sentiments, ... Ce système philosophique et existentiel a profondément influencé les pères de l'Eglise qui en ont repris le dualisme corps/âme (alors qu'il est absent de la Bible) et surtout le mépris pour la sexualité, réduite au mariage et la reproduction. Dans ces conditions, l'homosexualité apparaît bien comme étant contre nature mais il s'agit d'un pseudo concept, une création totalement artificielle mais qui imprègne l'inconscient collectif de nos sociétés occidentales. En fait, l'homophobie s'inscrit ici dans un contexte plus général de peur, ici la peur du corps, de la sexualité et du plaisir.

Hervé B.


 

 

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